Etonnant gyokuro de Uji-Tawara

Les thés ombrés gyokuro et matcha représentent un univers à part dans le monde du thé haut de gamme japonais. En effet, ce sont des thés qui la plupart du temps échappent au phénomène du shincha, thé nouveau. Il est, en particulier dans le cas de "thé de Uji", très rare de trouver des shincha de gyokuro et de matcha en vente. Les japonais raffolent de l'idée du nouveau, du primeur, mais traditionnellement, à Kyôto, au contraire, on préfère ce qui est ancien (d'accord, c'est un cliché qui est peut être de moins en moins vrai). Ainsi, en général ce n'est qu'à l'automne que les gyokuro et matcha de l'année, arrivent sur le marché. Certains vendeurs préfèrent même faire des mélanges avec les thés de l'année précédentes. Il ne s'agit pas là que d'un simple particularisme culturel. En effet, dans de nombreux cas, les thés de qualité, même les sencha, seront meilleurs après l'été, après maturation. Mais cela est d'autant plus flagrant avec les thés fortement ombrés que sont le gyokuro, et plus encore le matcha (bien sûr, celui-ci est stocké sous forme de tencha, non moulu). Ils gagnent en goût, en puissance, en profondeur. C'est indéniable, et dans le cas du matcha, sortir un shincha relève de la pure opération commerciale, ils sont alors très fades (bien sûr, ce genre de chose ce fait avec des matcha moyen voire mauvais). C'est plus relatif avec les gyokuro, surtout ceux de Yame (le malaxage est très différent des gyokuro de Kyôto) et je fais d'ailleurs moi-même une exception et les sors dès le printemps. Mais c'est hors de question pour ceux de Uji !!!!!
Et bien non, voilà une autre petite entorse à la règle, cet étonnant petit gyokuro de Uji-Tawara. Double exception puisque je suis souvent sceptique devant les gyokuro issus de récoltes mécaniques, comme celui-ci.

Les arômes de ce thé m'ont complètement charmés. Je dirais qu'il n'est pas à prendre comme un gyokuro, mais simplement comme un thé vert étuvé japonais assez unique et franchement délicieux. Il provient plus exactement de Zenjôji, une zone de production historique de Uji-Tawara, d'une des dernière petites plantations que le vétéran M. Motomasa exploite encore lui-même du fait de son âge avancé. Le thé fut fabriqué aussi à Zenjôji dans l'usine coopérative Kuwahara. Cette dernière est célèbre car les thés qui en sortent ont tous des arômes uniques, sans que l'on en connaissent la raison. On sait que cette usine est ancienne, très haute de plafond, qu'on y utilise des machines anciennes, et qu'on n'y prête guère d'importance à la forme des feuilles.

Pour la première infusion, je propose environ 4-5g de feuilles pour 40-50 ml d'eau. Un peu léger pour un gyokuro, mais cela reste un dosage très généreux comparé à une préparer de sencha. Eau à 60°C environ pour 90s d'infusion.

Le parfum est alors léger, mais très agréable, avec le contraste sucré végétal classique d'un gyokuro, avec en plus quelque chose de différent, encore assez difficile à saisir, mais pourtant envoutant. En bouche, le thé a évidemment de l'impact et de la présence. L'umami est bien sûr fort, sans donner dans le bouillon non plus, il y a aussi un peu d'astringence. Les arômes à la fois végétaux et doux sont déjà complexes, mais dans les grandes lignes on a affaire à un excellent petit gyokuro, puissant mais sans lourdeur, et comme porté par des arômes qui ne demandent qu'à se relever en plein jour.

Qu'à cela ne tiennent, pour la seconde infusion, je passe de suite à 80°C environ, une quinzaine de secondes. Et là en effet, tout est beaucoup clair, riche, complexe. Sur le végétal d'un thé ombré on a aussi du fruité, une touche de vanille, quelque de muscé. En bouche, l'impact est plus grand encore. L'astringence reste très discrète, et une douceur umami forte mais gracieuse tapisse la bouche. On ressent des arômes de citron aussi. Les retours à la fois doux et frais sont très puissant et la longueur formidable.

La troisième infusion un peu plus chaude encore, plus longue (une minute ?) ne déçoit. C'est toujours aussi riche, je dirais que l'astringence semble plus discrète encore, avec toujours cette douceur si élégante et agréable, tout en étant d'une rare puissance. On a maintenant de manière plus forte des saveurs de légumes cuits type haricot vert, du poivron vert aussi, toujours cette sensation muscée dans les parfums. Il y a toujours beaucoup d'ampleur en bouche.

Avec la 4ème infusion, 90°C, cet incroyable thé vert semble "enfin" s’essouffler. La liqueur se fait alors bien plus légère, mais reste très agréable à boire. Sans astringence, on a toujours néanmoins cette douceur puissante qui perdure très longtemps en bouche. Un excellent "finale".


Je me suis demandé au départ de quel cultivar pouvait-il bien s'agir, un zairai-shu ?, non, il s'agit simplement d'un Yabukita.
Il ne faut pas y voir un modèle de gyokuro (même si à ce prix certains pourraient en prendre de la graine), mais simplement un superbe thé vert étuvé ombré à la richesse, à l'endurance incroyable. C'est arômes sont très originaux, et bien que l'umami y soit naturellement fort, cela ne fait pas "soupe", c'est un élément qui soutient d'autres arômes complexes avec élégance. Ainsi, même ceux qui sont allergiques au gyokuro pourront essayer et y trouver leur compte en essayant diverses méthodes d'infusions.
En tout cas, ce gyokuro hors norme, ce thé vert inclassable, m'a bluffé, et fait parti des excellentes surprises de 2016.  
C'est un tout petit lot,il n'y en a pas beaucoup....

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